Facebook Coin : Analyse du White Paper Libra
CanardCoinCoin a discuté avec Nicolas Matusiak, analyste chez 4C-Trading, pour connaitre son avis sur la crypto-monnaie de Facebook. Il nous livre ci-dessous son analyse du White Paper de Libra.
Le mardi 18 juin 2019, Facebook a dévoilé son fameux projet concernant le Facebook Coin, ou plutôt la Libra.
Du latin « Libra, ae », cela fait référence à la « balance » ou au « contrepoids » c’est-à-dire au poids qui contrebalance une force opposée.
Avec Libra, Facebook voudrait-il s’opposer aux banques traditionnelles ?
Nous vous présentions le 17 juin 2019, un article expliquant ce que l’on savait sur ce sujet, les questions en suspens et également le potentiel impact de cette crypto-monnaie.
Nous allons à présent analyser le White Paper de la Libra afin de confirmer/infirmer nos suppositions faites dans notre précédent article mais également faire une critique et s’interroger sur certains points.
Les points importants :
Voici en vrac les éléments que vous devez retenir sur le White Paper de la Libra.
« La mission de Libra est de favoriser le développement d’une devise et d’une infrastructure financière mondiale simple, au service de milliards de personnes. »
- “Permettre au maximum de personnes d’avoir accès à des services financiers et à des capitaux bons marchés.” Et également atteindre les personnes qui n’ont pas accès à des banques. Ainsi la Libra semble vraiment être adaptée pour les pays en développement (Asie, Afrique, Amérique latine) où l’accès aux comptes bancaires n’est pas forcément facile.
- Envoyer de l’argent sera aussi simple que d’envoyer un message ou une photo pour les utilisateurs de ses produits WhatsApp et Messenger.
- Rendre possible la décentralisation des gouvernances.
- La Libra sera associée au wallet Calibra pour stocker et effectuer les transactions. Calibra est une entité séparée, qui fonctionnera indépendamment de Facebook.
- “Les frais de transaction seront peu coûteux et transparents, même si vous envoyez de l’argent à l’étranger.” Calibra réduira les frais pour aider les utilisateurs à conserver une plus grande partie de leur argent.
- La création d’un compte Calibra nécessitera de remplir les conditions du KYC (Know Your Customer) et donc de prouver son identité via une photo de passeport, carte d’identité.
- Au début, la blockchain Libra sera un “réseau de permissions”, c’est à dire que seuls les membres fondateurs, qui détiennent des LIT (Libra Investment Token), seront capables de traiter et sécuriser les transactions. Dans le temps, le réseau est censé devenir “sans permission”, cela signifiera que n’importe qui sera capable de traiter des transactions.
- Libra utilise le protocole de consensus LibraBFT (Byzantine Fault Tolerant) et un langage de codage appelé Move.
- Libra sera garantie par la Libra Reserve, qui est un panier de réserves de liquidités (correspondant à plusieurs devises FIAT) et d’actifs équivalents de trésorerie à faible volatilité.
Comment fonctionne la Libra Reserve ?
Voici un extrait expliquant le processus derrière la Libra Reserve :
« D’où vient l’argent de la réserve ? L’argent de la réserve proviendra de deux sources : les investisseurs de l’Investment Token (qui est séparé) et les utilisateurs de la Libra. L’association versera des primes en Libra aux Membres fondateurs pour encourager son adoption par les utilisateurs, les commerçants et les développeurs. Les fonds liés aux distributions de pièces comme primes incitatives proviendront d’un placement privé auprès d’investisseurs. Du côté de l’utilisateur, pour créer de nouvelles pièces Libra, il doit y avoir un achat équivalent de Libra en monnaies fiduciaires et le transfert de cette monnaie à la réserve. Ainsi, la réserve se développera au fur et à mesure que la demande de Libra des utilisateurs augmentera. Pour résumer, tant du côté des investisseurs que de celui des utilisateurs, il n’y a qu’un moyen de créer plus de Libra : en achetant plus de Libra en contrepartie de monnaies fiduciaires et en développant la réserve. » (Pour plus d’infos, cliquez ici.)
Ainsi, les utilisateurs de Libra “ne reçoivent pas de retour de la Reserve”. Au lieu de cela, les intérêts provenants des fonds de la Libra Reserve seront dépensés de deux façons :
- “…pour soutenir les dépenses de fonctionnement de l’association…”, comme “…les investissements dans la croissance et le développement de l’écosystème, les subventions aux organismes sans but lucratif et multilatéraux, la recherche…”
- “…pour payer des dividendes aux premiers investisseurs dans le Libra Investment Token pour leurs contributions initiales.”
Critiques et interrogations :
- Libra se veut décentralisée mais possède une gouvernance : la Libra Association. Cependant, lorsque l’on s’intéresse de plus près à cette association, on constate que pour être membre il faut être validateur des noeuds du réseau Libra. Pour rappel, un noeud coûte 10 millions de dollars. Et à l’heure actuelle, les propriétaires de ces noeuds sont les 28 partenaires officiels annoncés. Ainsi, peut-on réellement parler d’une crypto-monnaie décentralisée ?
La Libra s’apparente d’un point de vu technique à une crypto-monnaie cependant de nombreuses personnes contestent ce statut. En effet, la Libra ne semble pas respecter les principes fondamentaux des crypto-monnaies (réelle décentralisation, caractère déflationniste et l’absence de « besoin de confiance »).
- Libra se dit être une crypto-monnaie. Or elle s’apparente plutôt à un stable coin vue qu’elle sera indexée une réserve d’actifs. Cependant, le White Paper ne précise pas explicitement de quels réserves d’actifs s’agit-il.
- La création d’un compte Calibra pour utiliser la Libra nécessitera de remplir les conditions de KYC, or au vu des dérives qu’il y a eu dans le passé concernant la protection des données privées (le scandale Facebook/Cambridge Analytica), on peut s’interroger sur la sécurité de nos données. Facebook sera en possession de milliards de documents d’identités. Ces derniers pourraient être utilisés à des fins marketing ou même pour améliorer leurs algorithmes de reconnaissance faciale, qui sait ?
- Libra pourrait techniquement être victime d’attaques à 34% alors que les crypto-monnaies classiques sont généralement vulnérables à des attaques à 51% (pour plus d’informations à ce sujet, cliquez ici ). En effet, d’après le site Beincrypto, il suffit d’un tiers de tous les nœuds pour perturber l’ensemble du réseau. Dans le White Paper du Libra, Facebook affirme que “les protocoles de consensus BFT sont conçus pour fonctionner correctement même si certains nœuds de validation — jusqu’à un tiers du réseau — sont compromis ou en panne”. On notera que cela reste « techniquement » faisable mais dans la réalité il ne faut pas oublier qu’un noeud coute 10 millions de dollars ! Il faudrait donc des sommes colossales pour réaliser une telle attaque, la Libra reste donc un stablecoin sécurisé.
- L’annonce de la Libra a déjà suscité des critiques dans la sphère politique: Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances en France, a partagé ses inquiétudes notamment sur le fait que Libra pourrait concurrencer les monnaies souveraines.
- De son côté, le CEO de Binance a évoqué le problème de la protection de la vie privée en tweetant ceci à propos du Libra :
Facebook Libra coin don't need KYC. They have so much more data on the 2 billion people. Not just name, id, address, phone number. They know your family, friends, real-time/historic location, what you like… They know you more than yourself. And now your wallet too. Best AML!
— CZ Binance (@cz_binance) June 18, 2019
Cependant la réponse à cette critique se trouve dans le White Paper de Libra : “Le protocole Libra ne lie pas les comptes à une identité du monde réel. Un utilisateur est libre de créer plusieurs comptes en générant plusieurs paires de clés.” Reste à savoir comment allier cette déclaration aux réglementations du KYC ? Calibra semble être la réponse, en effet il est écrit noir sur blanc dans le Calibra Engagement Client :
«Lorsque vous autorisez un paiement, nous partageons les données avec les tiers nécessaires pour le traitement de cette transaction. Nous partageons également les données clients de Calibra avec les sous-traitants et fournisseurs de services autorisés (dont Facebook Inc.) qui soutiennent notre activité (par exemple, en fournissant une infrastructure technique, ou en traitant les paiements). Dans les deux cas, nous partageons uniquement les données clients Calibra qui sont nécessaires à la réalisation de l’activité ou du service défini. »
Et également :
« Calibra utilisera les données clients pour faciliter et améliorer l’expérience produit de Calibra, commercialiser les produits et services Calibra, respecter les obligations légales et réglementaires et garantir protection, sécurité et intégrité ».
Conclusion :
La Libra sera-t-elle la monnaie de demain ?
Libra semble bien parti pour être le premier réseau blockchain qui pourrait déclencher une démocratisation des crypto-monnaies avec les grandes institutions financières, les conglomérats technologiques, les commerçants etc…
La Libra n’est pas un concurrent pour les crypto-monnaies mais un concurrent pour les banques de détails.
While Facebook's Libra doesn't compete against any open, public, permissionless, borderless, neutral, censorship-resistant blockchains, it *will* compete against both retail banks and central banks. This is going to be fun to watch.
— Andreas M. Antonopoulos (@aantonop) June 18, 2019
Une chose est sûre, c’est que l’on n’a pas fini d’entendre parler des crypto-monnaies et de la Blockchain ! Certains analystes estiment même que Libra aura un énorme impact positif pour le marché des crypto-monnaies en général.
Affaire à suivre !
Nico, trading analyste 4C.
Cet article a aussi été publié sur le Médium de 4C.